Pramoedya Ananta Toer (6 février 1925 – 30 avril 2006), aussi appelé Pram, est un auteur Indonésien. Ces écrits traitent principalement de l’histoire de son pays, de l’époque coloniale jusqu’aux régimes autoritaires post-coloniaux de Suharto, en passant par les luttes pour l’indépendance et l’occupation japonaise lors de la seconde guerre mondiale.
Ces textes ne furent pas toujours très populaires auprès des régimes politiques au pouvoir, et ils furent par conséquent souvent censurés. Pram a aussi été emprisonné deux fois, la première sous le régime colonial néerlandais (1947-1949), et la seconde par le régime de Suharto (1965-1979). C’est lors de son second séjour en prison, sur l’île de Buru dans l’est de l’Indonésie, qu’il écrivit Le monde des hommes, premier épisode du Buru Quartet, tétralogie relatant le règne des Pays-Bas en Indonésie.
Enfin, je parle d’écrire, mais il faut savoir que Pram n’avait pas le droit d’écrire en prison, et c’est donc sous forme orale que Le monde des hommes a commencé son existence, à partir de 1973. L’histoire se répandit très vite parmi les prisonniers, et c’est ainsi qu’en 1975, il reçut finalement l’autorisation de la mettre sur papier. En 1980, peu de temps après la sortie de prison de Pram, une décision fût prise de publier les écrits de nombreux ex-prisonniers politiques, en commençant par Le monde des hommes. Pram travailla alors plusieurs mois sur les quelques textes qu’il avait pu sauver de la prison, la majeure partie du manuscrit originel aillant été confisqué par les officiels et jamais rendus. Le texte fut finalement publié pour la première fois en 1980, quelques jours après la déclaration d’indépendance de l’Indonésie, avant d’être finalement interdit l’année suivante, sous prétexte que le texte promouvait le communisme et le marxisme-léninisme, alors qu’aucune de ces deux doctrines ne sont mentionnées dans le livre. Et je n’en ai vu aucune trace non plus à la lecture.
Ce livre fût finalement réhabilité en Indonésie en 2005, après avoir été traduit dans plus de 30 langues et publié un peu partout autour du monde.
Ce livre brosse un portrait de l’Indonésie, alors colonie hollandaise, à la fin du XIXe, à travers le destin de Minke, un jeune Javanais. Minke, le narrateur – il prétend n’avoir pas de patronyme -, est un « natif », autrement dit un indigène, qui doit à son ascendance noble le privilège de faire des études secondaires dans un établissement très sélect. Seul « natif » parmi des Hollandais et des Indo-Européens, il évolue au sein de la communauté coloniale avec la plus grande aisance, parlant et écrivant couramment le néerlandais, tout en revendiquant farouchement son identité javanaise. Avide de culture, il rêve de devenir écrivain. Sous un pseudonyme, il signe, dans les journaux hollandais, des articles dénonçant le racisme dont les natifs sont victimes. Racisme qui s’exprime avec une violence et une cruauté particulière lorsqu’il se lie d’amitié avec Nyai, la concubine d’un gros négociant hollandais, et s’éprend de sa fille Annelies, qu’il épouse, au mépris de toutes les conventions.
Tout comme pour Po-on, il s’agissait là aussi d’une première pour moi. Premier livre sur l’Indonésie, premier livre d’un auteur indonésien, et encore une fois, ce fût une magnifique découverte.
Il s’agit d’un récit poignant de la vie sous le régime colonial néerlandais, du point de vue d’un natif. Mais par n’importe lequel. En effet, de par son éducation, Minke est bien plus occidental que javanais. Et pourtant, il n’est jamais traité comme tel aux yeux des occidentaux. Cette double culture permet à Minke de parfaitement décrire et cerner la société de l’époque. A la lecture de ce livre, on se demande aussi à quel point il est autobiographique. En effet, non seulement Minke a eu une éducation occidentale, mais il aspire aussi a devenir écrivain, et écrit de nombreux articles éclairés et engagé dans les journaux néerlandais.
On découvre ici une société extrêmement codifiée, que ce soit du côté néerlandais ou javanais, où il est extrêmement difficile et surtout très mal vu de sortir de la position dans laquelle les gens sont nés. Position liée à sa famille, son sexe, mais surtout sa race. Il est absolument révoltant de voir l’impuissance totale des personnages javanais face à la toute puissance et le racisme manifeste des colonisateurs blancs. Et ce malgré l’éducation reçue, le bon sens primaire, et même la loi javanaise.