Un lieu : le Shanghai Power Station of Art
Au loin, au milieu des gratte-ciels, nous pouvons distinguer de temps en temps une vieille cheminée d’usine. En y prêtant un peu plus attention, on peut remarquer qu’elle porte un immense thermomètre qui prend la température de la ville. Et côté chaleur, elle s’y connait. En effet, il s’agit là de la tour d’une ancienne centrale au charbon qui a fourni la ville de Shanghai en électricité pendant 110. La centrale électrique de Nanshi, nom sous lequel cette usine était autrefois connue, commença à produire de l’électricité en 1897, 3 ans après l’invention de l’ampoule électrique par Edison, mais les lourds nuages de fumées qu’elle crachait ainsi que le bruit infernal qu’elle produisait eurent finalement raison d’elle, et elle ferma officiellement ses portes en 2007.
Et c’est là que commença le long exorcisme de son passé de pollueur. La centrale fut entièrement réaménagée pour l’exposition universelle de 2010, ou elle devint le pavillon de la ville du futur, exposant des visions de villes ou l’urbanisation se ferait en harmonie avec la nature.
Après l’exposition universelle, elle ré-ouvrit ses portes en 2012 en tant que Power Station of Art, le premier musée public d’art contemporain en Chine. Ses 42 000 m2, dont 15 000 m2 d’espace exposables, et son immense hauteur sous plafond permettent d’y accueillir de grandioses expositions, dont la biennale d’art de Shanghai.
Les environs de ce musée sont aussi en train de se transformer peu à peu en parcs et espaces verts. Les pavillons aux architectures folles de l’exposition sont tous peu à peu en train de trouver repreneurs, et d’être eux-aussi réaménagés. Une promenade a été aménagée sur les berges du Huangpu, le fleuve qui traverse Shanghai, et sur les bords duquel avait été installée cette centrale.
Ainsi, en 5 ans, cette centrale est passée de pièce ultra-polluante à symbole d’espoir, et montre le chemin à suivre pour concilier développement urbain et respect de l’environnement.
Un artiste : Cai Guoqiang
Cai Guoqiang (1957-) est un artiste plasticien chinois, originaire du Fujian. Il a étudié les arts de la scène à l’école de théâtre de Shanghai, avant d’émigrer au Japon, puis aux Etats-Unis, où il réside aujourd’hui.
C’est au Japon qu’il expérimente avec la poudre à canon et commence à l’utiliser dans ses dessins. Ceci le mène à étudier les explosifs en général et la pyrotechnie en particulier, art dans lequel il passa maître et grâce auquel il obtint une renommée internationale. Ainsi, c’est lui qui conçoit les feux d’artifices de la cérémonie d’ouverture des JO de Pékin.
Cai Guoqiang est aujourd’hui exposé partout dans le monde et a remporté un lion d’or à la biennale de Venise en 1999.
Une exposition : The Ninth Wave
Nous sommes accueillis, dès le premier pied posé dans le musée, par une immense arche de Noé posée en plein milieu du hall d’entrée. Dessus, des animaux à l’air perdus pendent mollement au bastingage, ou s’accrochent désespérément aux cordages. Cette composition, qui donne son nom à l’exposition, est inspirée de l’œuvre éponyme du peintre russe Ivan Aivazosky (peinte en 1850).
Le bateau est un ancien bateau de pêcheur battu par les flots, provenant du village natal de l’artiste.
L’air désarmé de tous ces animaux nous laisse sans mal imaginer qu’ils aient dû se réfugier sur cette arche, chassés de leurs terres par le développement effréné de l’homme, impuissants face à la tragédie de leur situation sur notre planète.
Un peu plus loin, traversant les étages, se trouve une immense fresque créée à Brasilia en 2013. Elle représente la riche biodiversité sud-américaine (ce tableau a été créé en coopération avec un botaniste et un ornithologue brésiliens), avec oiseaux et plantes qui s’élèvent jusqu’au ciel. S’en dégage une impression de paix et de sérénité qui tranche avec l’installation précédente. Mais cette sérénité ne dure que jusqu’à ce que nous découvrions que la peinture a été faite à la poudre à canon et remarquions les traces de brulure et d’explosion qui forment ce tableau.
En pénétrant plus profondément à travers les couloirs du musée, une odeur âcre nous envahit les narines. C’est celle, si caractéristique, de l’encre de Chine. Je m’étonne et me demande ce qui peut donner une odeur d’encre si puissante que je la sente à l’autre extrémité des longs couloirs de ce musée. Arrivée au bout du corridor, je découvre une pièce dans laquelle se trouve mare d’encre. Seul les bips et les clic-clacs des appareils photos viennent briser le bruit de la mince cascade d’encre qui tombe dans la mare. Cette vaste étendue noire et les rides sur sa surface nous hypnotisent tous. C’est à peine si nous remarquons les débris de ciments et les fils de fers rouillés qui entourent l’étendue d’eau accentuant l’impression de ruine du lieu.
C’est l’esprit encore fasciné par tout ce noir visuel et odorant que je monte à l’étage, et que je suis accueillie par une immense fresque du Bund. Là encore, la fresque est peinte à la poudre à canon et laisse envisager un Bund post-apocalyptique où l’homme aurait été annihilé. Cependant, en s’approchant, on observe que si l’homme a disparu, la nature, elle, a repris ses droits. Animaux et fleurs envahissent le panorama si familier et semble vivre en harmonie. Faut-il que l’homme s’autodétruise pour que la nature puisse revivre ?
Après un couloir où sont exposés les sketches faits par l’artiste pour préparer cette exposition, j’arrive dans une petite pièce. Sur les quatre murs trônent quatre œuvres, représentant les quatre saisons. Printemps, été, automne, hiver. Ces œuvres sont faites en porcelaine blanche de Chine. Des fleurs et feuillages délicats en ressortent et s’épanouissent. Mais là encore, le tout a été passé à la poudre à canon, et l’artiste y a mis feu. Le contraste entre la blancheur et la délicatesse de l’œuvre initiale d’un côté et la noirceur et la violence des brûlures et explosions de l’autre est saisissante.
S’en suit une salle où se trouvent 99 loups qui s’élancent à travers l’espace pour venir s’écraser sur une vitre de verre, avant de retourner penauds à leur point de départ, et de recommencer. Est-ce une métaphore pour dire que l’homme va droit dans le mur ? La question se pose.
L’exposition se termine par une tente arabe, sous laquelle est projetée une vidéo montrant une journée dans les haras royaux du Qatar (n’étant pas fan d’installations vidéo, je passe mon tour bien vite), une chronologie de la vie de l’artiste à l’aide de photos, quelques petites œuvres d’art et coupures de journaux, qui nous permettent de bien voir son évolution ou cours du temps, et finalement une salle où sont projetées de nombreuses vidéos de ses exploits pyrotechniques.
Je suis sortie de là soufflée. Déjà, c’est probablement la première fois que j’apprécie réellement l’art contemporain. C’est la première fois que cela me parle réellement. Rien que pour cela, l’artiste mérite toute mon admiration.
L’alchimie entre le lieu et l’exposition est aussi fantastique, ils se mettent mutuellement en relief et forment un tout qui nous fait réfléchir, qui fait nous poser des questions sur la durabilité de notre monde.
Cai Guoqiang: The Ninth Wave
Shanghai Power Station of Art
Du 8 août 2014 au 26 octobre 2014
Les photos marquées d’un © Cai Studio proviennent du dossier de presse fourni sur le site de l’artiste. Les autres sont les miennes.